Les temps étaient durs, les restrictions pénibles à supporter. La défaite semblait inévitable et les hommes noyaient leurs angoisses dans l’alcool pour oublier les horreurs de la guerre. L’histoire n’a pas retenu le nom de cet ingénieur allemand, qui soudain au milieu d’une soirée particulièrement arrosée au Schnaps de contrebande s’est soudain levé dans le grésillement des notes essoufflées de Lili Marlene sortant du vieux gramophone. Il était très rouge et, à travers la fumée verte et épaisse des feuilles séchées et roulées d’edelweiss que les hommes se passaient de main en main, il a dit très fort : « eh les gars ! Et si on montait les ailes dans l’autre sens pour voir un peu la tête du pilote d’essai demain ! ça serait sehr Komisch ! ». L’instant d’après il s’écroulait dans un profond coma éthylique au milieu des rires de ses collègues de chez Junkers.
Bon, l’histoire ne s’est peut-être pas déroulée comme ça mais il fallait être sacrément accro aux drogues dures pour penser à mettre les ailes d’un avion avec une flèche inversée, les bout d’ailes pointés vers l’avant. C’est pourtant ce qui a été fait avec le Junker Ju 287. Un monstre hideux fabriqué à la fin de la guerre de bric et de broc, y compris avec des pièces d’avions ennemis abattus. L’appareil vola puis fut capturé par l’armée rouge. Impressionnés par les autres réalisations extraordinaires des allemands, les américains et les russes copièrent le concept, persuadés que s’ils avaient construit ça, il devait bien y avoir une bonne raison.
Et de fait, la faible puissance des premiers réacteurs rendait le décollage et l’atterrissage dangereux pour les premiers avions rapides à ailes en flèche. Ils s’avéraient très instables à faible vitesse. L’aile en flèche inverse permet aux extrémités des plans de ne décrocher qu’en tout dernier lieu. Elle offre donc une maniabilité accrue à faible vitesse et un décrochage retardé. Mais au prix hélas de fortes contraintes structurelles de torsion en bout d’aile, ce qui tendait à tout arracher à l’emplanture et a condamné les nombreux prototypes à ne demeurer que des prototypes pendant trois décennies.
Avec les commandes de vol numériques et les matériaux composites dans les années 80, les avions devinrent « versatiles », entendez plus maniables, et les ailes inversées revinrent sur le devant de la scène. Le plus célèbre est le Grumman X29, fabriqué à partir d’un Northrop F-5 et reproduit en depron avec talent par Serge Romani :
http://www.jivaro-models.org/x29_serge_romani/page_x29a.htm
Aujourd’hui la formule est encore explorée avec le chasseur expérimental russe SU 47 et le très élégant avion d’entrainement SR 10.
L’aviation civile a aussi vu l’intérêt de la flèche inversé dans l’implantation très à l’arrière du fuselage, ce qui libère plus de place à l’avant pour la cabine ou la soute et offre une meilleure visibilité. De nombreux planeurs et avions ont testé le concept.
Le plus beau des avions civils à flèche inversée est le Bugatti 100, qui précède même les essais de Junker car le prototype de cet avion de course a été conçu dès 1937. Mais il ne vola jamais à cause du déclenchement de la guerre. Sa réplique moderne s’est, hélas, écrasée l’année dernière en 2016, causant la mort de son pilote.
Le modélisme a été séduit par le côté atypique de ces voilures. Les photos de cet article ont pour but de vous inspirer pour reproduire ces avions qui sortent de l’ordinaire et attirerons l’œil de vos confrères modélistes.
D’autres ont fait leurs propres prototypes qui volent très bien comme ceux de Jacques91, essonnien, ou encore de Pipomax, visibles sur le forum de modelisme.com.
Regardez par exemple la vidéo du vol indoor de cette aile volante aux airs de rapaces :
cylon indoor EPP.MOV – YouTube
Et celle-ci en plein air :
https://www.youtube.com/watch?v=_51qGN0NXiY
Pour ma part c’est décidé : mon prochain prototype sera un avion à aile inversée, couplé, vous vous en doutez, avec un profil Kline Fogleman. Voici une première maquette de ce concept perso que j’espère vous amener sur le terrain dans un avenir pas trop lointain.
Denis